Je viens, je reviens de loin. Hier soir, j’ai enfilé ma combinaison. Une pluie fine sans un souffle de vent, le ciel est gris, j’ai couru et monté la dune. Dans l’eau, une seule couleur, l’horizon et l’océan se confondent. La vague qui va se former tout à l’heure, je ne la verrai pas, mes yeux ne distinguent plus les reliefs. Mais ce moment, je ne pouvais pas le manquer, il était déjà inscrit dans ma mémoire.
Une belle ondulation, j’essaie de la rattraper avec la force de mes bras, elle me soulève et m’emporte avec elle. Je suis à son sommet, j’ai de la vitesse, elle se creuse, ma planche est presque verticale, je suis debout, défiant les lois de l’équilibre.
Je viens de loin, je ne pensais pas pouvoir y arriver, pas seulement redresser ma planche et glisser au cœur de la houle, des secondes d’étonnement. Mais aussi faire des études, rencontrer une femme, avoir un enfant, vivre de mon métier de soignant, mon existence en quelque sorte.
Mon corps se positionne naturellement et les manœuvres s’enchaînent, profitant de l’énergie accumulée par la rencontre de la houle et du sable.
J’ai tenté de comprendre pourquoi la vie était si absurde. Enfant, je marchais et courais au gré de mon envie, lui était cloué à son fauteuil et se jouait des mots. Mon cousin fut mon premier patient.
Pour approcher quelque chose de lui, j’ai transformé le « je » en « nous », nous faisions qu’un. Sur les petites routes du Jura, les chemins sinueux, les prairies un peu raides. Souvent, le plus vite possible en prenant des risques. Un attelage de deux garçons assemblés par un fauteuil électrique, jamais assez rapide, que je devais pousser fort, sans véritable but, lancé vers la fin programmée.
Ma vie a été bouleversée par cette rencontre, et je l’ai suivi dans cette bizarrerie de parler de la mort, et pas seulement de la sienne, à longueur de temps pour en rire et s’en accommoder.
Heureusement, il y avait les douleurs physiques qui nous ramenaient à la vie, et à ce moment, je m’appliquais à ranimer ses membres avec mes mains, le contact de mes doigts sur sa peau fragile, mes premiers massages pour le soulager. Dix ans plus tard, je suis devenu Kinésithérapeute.
Je viens de surfer une belle vague, de sa naissance à sa disparition.