BON PIED BON OEIL
Je la regarde évoluer sur la crête de la vague, elle reste bien en haut pour garder de la vitesse, tout d’un coup change de direction pour descendre le plus rapidement possible la pente. Tout semble naturel, son corps la propulse à l’endroit où il faut. Sauf qu’à un moment mes yeux n’ont plus rien distingué, seulement un mouvement d’ensemble. Conjugaison de deux tracés celle de la vague qui déroule et celle du surfeur qui semble souligner le mouvement de celle-ci, pour ne jamais se rencontrer.
Moi, je l’ai rencontré lors d’une consultation, elle a fait l’inventaire de ses douleurs. Les épaules : tendinites à force de ramer, on passe. Le cou et surtout la jonction avec le thorax très sollicitée, imaginez : nager le crawl en puissance en gardant la tête toujours hors de l’eau. C’est ce que fait un surfeur en ramant pour prendre une vague avec le plus de vélocité possible. Condition essentielle pour ne pas être à la merci de la force sauvage de la houle.
Le reste de son dos est plutôt en place, très musclé, bien équilibré, une région lombaire creusée, tonique, qui semble bien supporter les sollicitations en lordose imposées par ce sport.
Elle est jeune, c’est préférable pour pratiquer le surf de compétition, tant sa pratique est exigeante sur le plan cardio respiratoire. Une « session » de surf de quelques heures, dans une eau relativement froide, c’est deux fois plus de temps de récupération qu’une course d’une vingtaine de kilomètres. Une impression de sérénité se dégage de ces 16 ans, mélange de calme et de tonicité communs aux sportifs de hauts niveaux. Quand on la regarde surfer, les apparences sont trompeuses, les manœuvres enchaînées au ralenti épousant parfaitement le creux de la vague, ne sont que la combinaison de la vitesse et de la technique au service de l’équilibre, et l’impression de facilité n’est qu’une illusion.
On continue l’énumération de ces lésions, une cheville sensible entorse à répétition, la pratique du surf sollicite beaucoup les articulations du membre inférieur, les appuis sur la planche se transforment vite en choc pour la tibio-tarsienne direct ou en torsion. Le pied et la cheville amortissent l’impact de la planche sur l’eau mais conduisent aussi le mouvement de celle -ci.
Cette fonction de capturer les sensations, transmise à la voute plantaire pour servir l’équilibre demande l’intégrité des os de la plante du pied et notamment du couple cuboïde- scaphoïde qui, comme chacun sait « s’effondre « lors d’une entorse. Ce qui ne fait pas exception chez ma patiente. Ce qu’elle ne sait pas c’est l’importance du pied dans la pratique de son sport, il a deux fonctions essentielles : il recueille les sensations par l’intermédiaire de tout ses capteurs, très nombreux de la plante du pied aux articulations et muscles qui composent le complexe pied –cheville. Il va aussi exécuter les ordres venant des centres supérieurs, transférer le poids du corps vers le pied droit puis le gauche etc. Tout ceci pratiquement dans le même temps.
Le sport de haut niveau c’est la recherche inlassable d’une seconde en moins pour l’exécution d’un mouvement, le fruit de l’entrainement et de l’intégrité physique.
Elle me raconte sa dernière compétition, un bon début, le choix de la vague plus de 1,50m idéal pour enchaîner des manœuvres, le « take off » se mettre debout sur la planche :parfait de rapidité et d’équilibre , elle prend de la vitesse ,en bas de la vague, ses jambes tremblent puis se redressent pour restituer l’énergie accumulée et là au creux de la vague sa tête tourne vers la crête, ce mouvement de rotation est presque complet et initié par les yeux ,la direction étant donnée, tout le reste du corps va suivre . Sauf qu’elle ne sait pourquoi mais au sommet du rouleau, légèrement en retard, elle n’a pas pu rester en équilibre. Bref elle est tombée, son regard en dit long sur l’humiliation ressentie et l’incompréhension d’avoir échoué sur une manœuvre facile.
En retard, je me répète cet expression, mes doigts sont sur sa tête glissent sur son cou, testent la mobilité cervicale. Elle est normale sauf une tension des muscles sous occipitaux, l’impression d’harmonie qui se dégage de son corps est rompue quand je mobilise son crâne, tout semble beaucoup plus figé, la densité y est très forte, surtout sur le frontal et au niveau de la tempe droite, il semble qu’il se dessine une torsion de la sphéno-basilaire.
Les muscles de l’œil, qui s’insèrent à ce niveau vont être perturbés et gêner la mobilité de l’œil et particulièrement le reflexe oculo-céphalogyre, voilà notre surfeuse qui va amorcer une figure, son regard va déterminer le sens du mouvement et sa célérité ; un peu de retard dans son exécution et tout va se détraquer. Le déplacement de l’œil dans toutes les directions c’est la fluidité dans le déplacement de la tête, des épaules, du tronc. Les six muscles oculomoteurs sont sous la dépendance de la mécanique crânienne et cervicothoracique. L’orbite de l’œil, sa profondeur, son diamètre réglé par la position de la grande aile du sphénoïde. Chez elle, on observe une diminution unilatérale et une baisse de la taille du globe oculaire droit. La palpation confirme l’impression, mon index posé sur la grande aile ne peut la mobiliser que vers le haut et en arrière, la caractéristique d’une torsion de la sphéno-basilaire, l’autre coté se mobilise normalement, en bas et en avant.
Mes deux mains contrôlent la tête, c’est-à-dire que les cinq doigts ont un contact avec tous les os de la voûte crânienne, l’index et l’auriculaire contrôlant respectivement la grande aile du sphénoïde et l’occiput. La sensation ressentie est que le sphénoïde et l’occiput tournent dans des sens opposés. La correction se fera dans le même temps en exagérant la torsion droite, l’index droit relevant la grande aile et le 5ieme doigt abaissant l’occiput droit, puis on recherchera un point d’équilibre médian, situé entre les deux positions haut et bas de la grande aile et de l’occiput. La correction se fera toute seule en maintenant en ce point local de stabilité la synchondrose. En ayant l’impression que cette nouvelle fluidité s’étend au reste du corps.
Elle se sent détendue, mais pas convaincue par cette correction tant celle –ci lui paraît éloignée de ses préoccupations. Elle connaît son corps, et les pressions exercées sur les tempes lui semblent dérisoires, bien sur elle se trompe en disant ça, cette manœuvre dite du point d’équilibre est très puissante car elle utilise la force auto correctrice de tout le corps. Mais ses doutes sont légitimes, cette lésion crânienne est ancienne, date de son enfance et elle n’a pu se fixer qu’avec la complicité du sacrum.
Des pieds stables et mobiles véritable pivots de beaucoup d’activités physiques, des muscles du cou et de l’œil qui peuvent travailler en synergie, deux impératifs pour la pratique d’un sport d’équilibre comme le surf. Ma patiente l’a bien compris, son inquiétude d’athlète est la pérennité de la correction, mon conseil est de consulter un orthoptiste pour corriger son défaut de convergence oculaire.